GROSSES TURPITUDES ET FAIBLES RÉCONFORTS DES INVESTISSEURS, par François Leclerc

Billet invité.

La forte demande des investisseurs pour la dette des pays émergents défie a priori toute logique. Connue pour ses défauts à répétitions, l’Argentine a placé sans coup férir une émission d’obligations à 100 ans, qui est sortie à 7,91 %. L’emprunt était de 2,75 milliards de dollars et la demande a été de 10 milliards. Incontestablement, le marché manifeste un sérieux appétit au risque et la logique de la finance n’a rien à voir avec celle de l’économie. Qui l’eût cru ?

La dette émergente susciterait-elle des comportements suicidaires ? Les investisseurs se disent-ils qu’ils sauront toujours s’en débarrasser à temps, avant que l’irréparable ne survienne ? Croient-ils à ce qu’ils racontent lorsqu’ils discernent une amélioration des fondamentaux des émetteurs ? Quoi qu’il en soit, la maturité de ces titres étant assortie d’un intérêt élevé, la recherche du rendement a encore frappé dans un contexte marqué par la faiblesse des taux ainsi que par les craintes d’une bulle sur le marché des actions. Cela ne laisse pas beaucoup de choix et ne rendent pas raisonnable pour autant. Au bout du compte, le tabou de la restructuration de la dette en ressort fragilisé.

La hausse annoncée des taux de la Fed va susciter une sortie massive des capitaux y ayant trouvé des taux attractifs, déjà entamée, détériorant la situation des pays émergents et leur capacité de remboursement, mais cela ne freine que modérément les ardeurs. Il est simplement espéré que, cette hausse allant se faire en douceur, le désordre redouté n’aura pas lieu.

L’Argentine n’est pas seule à profiter de cet engouement du marché, les émetteurs high yield ont tous le vent en poupe, incitant cependant les analystes plus chevronnés à considérer avec circonspection cette classe d’actifs. Insuffisant, le spread (écart de taux) rémunère mal le risque encouru. Parmi les coupables de ce surinvestissement, ils ont identifié les exchange-traded funds (ETF), ces fonds indiciels cotés qui connaissent une progression fulgurante, par lesquels un nouveau malheur est souvent prédit. À ce titre, ils sont parmi les facteurs de risque suivis par la Banque des règlements internationaux et le Financial Stability Board (FSB). La part grandissante des ETF synthétiques – pour lesquels les actifs sous-jacents sont des produits dérivés – n’en est pas la moindre des raisons, une fois observé leur dissémination et enregistré leur apparence trompeuse de placement de père de famille.

Venant de Chine, une meilleure nouvelle est toutefois intervenue, qui pourrait contribuer à calmer le jeu sur le marché obligataire : les autorités chinoises ont déverrouillé l’accès de la dette nationale aux capitaux étrangers. Leur marché de la dette, le troisième mondial, représente 10.000 milliards de dollars, et cette décision laisse présager un déplacement de capitaux occidentaux vers la Chine, dont l’intégration à petits pas au système financier mondial se poursuit. Les liquidités surabondantes et en mal de placement vont progressivement trouver à s’investir sur un marché à faible risque et à taux favorables – le taux des titres chinois à 10 ans est de 3,6 %, contre 0,48 % pour la même échéance en Allemagne et 2,35 % pour les États-Unis – l’Etat chinois étant par ailleurs considéré comme un excellent garant.

À défaut d’être le sauveur de l’économie mondiale, la Chine va-t-elle soulager le système financier en lui proposant du grain à moudre ? Le phénomène risque d’être marginal, les autorités chinoises ne voulant pas abandonner le contrôle de leur dette. Les progrès de l’intégration financière du pays vont en tout cas conforter le rôle grandissant du yuan sur le marché mondial. En investissant dans une dette libellée dans la devise chinoise, les investisseurs vont renforcer son rôle international.

Au sein de l’Union monétaire, la croissance s’appuie sur les mesures non conventionnelles de la BCE, mais celle-ci a besoin de les réduire afin de récupérer des marges de manœuvre pour la prochaine occasion, afin de soutenir l’économie européenne lorsque des chocs interviendront. Comment le marché peut-il s’y retrouver ?